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Par Pierre-Alexis de Vauplane
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La bataille du 5nm

Une des plus grandes batailles technologiques est une bataille qui se joue sans bruit et loin des bombardements des bords du Dniepr. C’est une bataille du miniature. De l’infiniment petit. C’est la bataille du 5 nanomètre (nm), la finesse de gravure des transistors. 

Absolument Numérique

par Pierre-Alexis de Vauplane

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Une des plus grandes batailles technologiques est une bataille qui se joue sans bruit et loin des bombardements des bords du Dniepr. C’est une bataille du miniature. De l’infiniment petit. C’est la bataille du 5 nanomètre (nm), la finesse de gravure des transistors. 

La finesse de gravure des transistors n’a rien d’une question esthétique mais plutôt de performance des puces que l’on retrouve ensuite dans la quasi-totalité des équipements électroniques. Plus les transistors du circuit électrique sont fins, plus on peut densifier le circuit - multiplier les cœurs - sans augmenter la consommation énergétique et la production de chaleur. Un processeur avec une gravure plus fine permet d’augmenter ses performances tout en consommant moins.

Le doublement tous les deux ans du nombre de transistors dans les semi-conducteurs est une phénomène que l’on appelle la “loi de Moore”. C’est une loi empirique qui, si elle est validée par les faits jusqu’à maintenant, n’a rien de mathématique ni de physique. Cette loi est une conséquence de notre capacité à réaliser des gravures de plus en plus fines.

Grâce à des milliards d’euros d’investissement et des années d’optimisation physiques et industriels, nous sommes passés dans les années 1980 d’une finesse de gravure de 1 micron soit 1 000nm à 5nm aujourd’hui. C’est grâce à cette finesse de gravure qui s’améliore en continue que la loi de Moore n’a - pour l’instant - toujours pas été démentie par les faits. Dans les années 1980, nombre de chercheurs planchaient sur le 800nm et beaucoup affirmaient qu’il serait alors impossible de descendre sous les 100nm, sorte de mur de la physique impossible à franchir. Mais voilà, plus de quarante ans plus tard, les murs sont tombés. 

La gravure en 5nm : le levier stratégique

Aujourd’hui, la seule entreprise capable de fabriquer les machines de gravure en 5nm est ASML aux Pays-Bas. Et les entreprises capables de fabriquer des puces inférieures à 7nm à partir de ces machines sont le coréen Samsung et le taïwanais TSMC, pour quelques clients seulement comme Apple ou Huawei. 

Alors que les acteurs chinois chaque année poursuivent leur croissance et prennent de plus en plus d’importance sur leur marché, il reste encore en retard et leurs produits finis sont limités à des applications moins sophistiquées que les produits coréens ou taïwanais : on retrouvera les puces chinoises dans l’automobile, les senseurs pour machines-outils, etc. mais les smartphones haut de gamme qui nécessitent a minima un processus de fabrication de 7 nm pour leurs microprocesseurs restent sous le giron de TSMC et de Samsung. C’est la raison pour laquelle que l’économie numérique mondiale, y compris la Chine, dépend aujourd’hui de Taïwan et de la Corée du Sud. Et donne à ces derniers une valeur stratégique immense.

Et après ?

Les leaders d’aujourd’hui ne comptent pas s’arrêter là : pour conserver sa petite avance technologique sur ses principaux concurrents TSMC souhaite lancer rapidement son nouveau protocole de gravure en 3nm ... tout en accélérant sur les travaux de R&D qui conduiront, plus tard, à l'adoption du procédé de gravure en 2nm.

En parallèle de ces avancées techniques, un des principaux enjeux à venir pour les européens et les américains sera également la réduction de la dépendance aux acteurs asiatiques et de re-localiser une partie de la chaîne de valeur.

Les Etats-Unis qui dominent le marché mondial en amont de la chaîne de valeur (R&D, conception, production de logiciel de design) et dans la commercialisation (près de la moitié des puces vendues dans le monde le sont par des entreprises américaines) cherchent désormais à combler leur principale faiblesse en rapatriant la fabrication : depuis la loi CHIPS for America Act votée en juillet 2022 c’est 50 milliards de dollars du budget qui a été voté dont 39 milliards de subventions pour construire ou agrandir des sites de fabrication ou d’assemblage de puces.

L’Europe a les mêmes enjeux que les Etats-Unis a ceci près qu’elle part de plus loin puisque sa part de marché n’a cessé de se réduire avec les années, notamment en raison de capacités de production limitées, des coûts d’entrées élevés et des règlementations inadaptées. Le Chips Act européen voté il y a quelques mois se concentre sur la partie centrale de la chaîne de valeur - la fabrication - en fournissant l’espace juridique pour débloquer des subventions des Etats-membres en aménageant des exceptions à son régime d’interdiction des aides d’Etat - poison historique à toute politique industrielle en Europe.

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